dimanche 2 avril 2017

Avril 2017 - "Un écrivain dans la ville"


"Maigret tend un piège" et "Maigret et les braves gens" de Georges Simenon (Livre de Poche)















Paris (France)

Georges Simenon est un écrivain belge de langue française (Liège 1903 - Lausanne 1989). Il rénova le genre du roman policier par son sens de l'analyse psychologique et par la restitution à la fois réaliste et poétique de l'atmosphère d'une ville ou d'un milieu social. Il est le créateur du personnage du commissaire Maigret, qui lui valut une renommée internationale.

Parmi les enquêtes du commissaire Maigret, que Simenon écrit entre 1930 et 1972, soixante-trois sur soixante-quinze, et dix-huit nouvelles sur vingt-huit ont Paris pour cadre principal ou secondaire. Maigret habite au 132, Boulevard Richard Lenoir dans le XIème et il travaille au célèbre 36, Quai des Orfèvres dans le Ier arrondissement. Il aime les espaces urbains : la ville, son vacarme, les brasseries, les terrasses des cafés, la plate-forme d'un autobus, un banc dans un square...


"Maigret tend un piège"

"Je ne pensais pas qu'il était possible d'être à la fois aussi populaire et aussi bon"
Henry Miller à propos de Georges Simenon

L'histoire :
Un vendredi soir, lors d'un dîner chez leurs amis, le docteur Pardon et son épouse, Monsieur et Madame Maigret font la connaissance du couple Tissot. La discussion entre le commissaire Maigret et le professeur Tissot, directeur de l'Asile Sainte-Anne, est passionnante et passionnée. En six mois, cinq femmes ont été assassinées dans les rues de Montmartre, dans le XVIIIème arrondissement de Paris. La police n'a aucun indice, aucune piste, et la presse en fait ses choux gras. Le commissaire et le psychiatre revoient ensemble chaque détail de l'affaire, partagent leurs expériences professionnelles et leurs points de vue personnels. A l'issue de la soirée, Maigret a une idée. Quelques jours plus tard, un 4 août caniculaire, au Quai des Orfèvres, il met en place un piège, avec, à leur insu, la complicité des journalistes avides de la moindre information. Le but est d'atteindre l'orgueil du criminel et de le pousser à commettre l'erreur fatale...

Mon avis :
On partage l'intérêt de Maigret (Simenon) pour la psychologie et la psychiatrie, et sa volonté de comprendre le mécanisme mental de son suspect et de ses proches. 

Un régal !

A voir :
"Maigret" - Série créee par Stewart Harcourt d'après les romans de Georges Simenon avec Rowan Atkinson.
"Maigret tend un piège" - Episode réalisé par Ashley Pearce (2016) avec l'excellente Fiona Shaw (Tante Pétunia dans "Harry Potter").

Nous revisitons bien les romans d'Agatha Christie. Pourquoi nos voisins d'Outre-Manche ne s'empareraient-ils pas de notre Maigret national ? Un Paris très esthétique, très fantasmé, très "carte postale", pour un Maigret très britannique. Interprétation étonnante, surprenante et convaincante de Rowan Atkinson, aux antipodes de "Mr Bean". La psychologie des personnages est parfaitement rendue. Certains téléspectateurs attentifs noteront quelques anachronismes ou quelques inexactitudes sur Paris. Néanmoins, l'ensemble se regarde avec plaisir.


"Maigret et les braves gens"

"Rien ne vaut l'hiver en compagnie d'un tonnelet de cognac et des oeuvres complètes de Simenon"
Luis Sepulveda

L'histoire :
Quelques jours à peine après son retour de vacances, le commissaire Maigret est réveillé en pleine nuit par son confrère, le commissaire Saint-Hubert. Un homme, René Josselin, a été tué par balles dans son appartement de la rue Notre-Dame-des-Champs à Montparnasse. La victime et sa famille sont, selon toute apparence, de braves gens. Le malaise de Maigret n'en est que plus vif...

Mon avis :
Maigret est à la peine dans cette enquête. Dans l'entourage de la victime, il ne découvre que de braves personnes, au quotidien ordinaire, et dont les histoires simples ne mènent à aucune piste. C'est par son approche humaine et psychologique qu'il va mettre à jour la faille, sans toutefois manquer de s'interroger sur toute l'ambiguïté de la culpabilité et de l'innocence dans ce cas précis. Simenon démontre une fois encore - si tant est que cela fusse nécessaire - ses réelles qualités littéraires. Sans cesse il puise en l'humanité ce qu'elle a de pire et de meilleur.

Un écrivain incontournable !

"Les chiens de Belfast" de Sam Millar (Points)
















Belfast (Irlande du Nord, Royaume Uni)

Sam Millar, né en 1958 à Belfast, s'est engagé très tôt dans l'IRA (Irish Republican Army, mais aussi "colère" en latin), ce qui lui a valu de passer huit ans dans la tristement célèbre prison de Maze (ou Long Kesh*), à Belfast, comme prisonnier politique. Exilé aux Etats-Unis après sa libération, il y a exercé divers métiers dont croupier de casino clandestin, avant d'organiser le fameux casse du dépôt de la Brinks de Rochester en 1993. Après cinq ans d'emprisonnement, il est gracié par le président Clinton.

Il revient à Belfast et se lance dans l'écriture de romans noirs. Après "On the Brinks" (2003), récit autobiographique de son casse, il entame, avec "Les chiens de Belfast" (2014), la chronique des enquêtes de Karl Kane, un détective privé qui ressemble au Philip Marlowe de Raymond Chandler. "Les chiens de Belfast" est le premier tome d'une trilogie. Suivent "Le cannibale de Crumlin Road" et "Un sale hiver" (Seuil).

* Long Kesh : On se souvient de Bobby Sands. Il incarna la cause républicaine catholique et fut le porte-parole des prisonniers enfermés à la prison de Long Kesh dans des conditions épouvantables. Il mourut dans cette même prison en 1981 à l'âge de 27 ans après 66 jours de grève de la faim.

L'histoire :
Une nuit de l'été 1978, dans une clairière abandonnée de la banlieue de Belfast, jetée là et laissée pour morte par ses quatre agresseurs, une femme agonise. Son dernier espoir de survivre s'évanouit lorsqu'elle aperçoit les ombres de trois chiens sauvages s'approcher dangereusement d'elle.
Vingt-ans plus tard, le cadavre d'un homme est découvert au Jardin botanique de Belfast. Dès que l'information paraît dans la presse, un certain Bill Munday se présente au bureau du détective privé Karl Kane. Il veut tout savoir sur le défunt et sur les causes réelles de sa mort. La somme offerte par Munday est étonnamment généreuse pour une mission aussi simple. Kane flaire le mauvais coup, mais il est financièrement aux abois...

Mon avis :
Cueillez un peu de Raymond Chandler et un peu de Harry Crews. Ajoutez le destin atypique de l'auteur, les stigmates des violences commises et subies en Irlande du Nord au cours de son Histoire, et une bonne dose de Brandy. Shakez. Versez dans un verre Snifter et flambez. Vous obtenez un polar excellent ! Brutal, sans jamais tomber dans le grand-guignolesque. Sombre, comme peut l'être l'humanité. Truffé d'humour. Une écriture musclée et réaliste qui prend aux tripes. Un héros viril, tourmenté par ses hémorroïdes, touchant par sa sensibilité inavouée.

Un cocktail détonnant à savourer sans modération !

"Un dernier verre avant la guerre" de Dennis Lehane (Rivages/Noir)
















Boston (Etats-Unis)

Dennis Lehane, né en 1965 à Boston (Etats-Unis), étudie l'écriture en Floride, tout en multipliant les petits boulots. En 1994, il publie son premier roman, "Un dernier verre avant la guerre", début d'une série de six polars autour du duo d'enquêteurs Kenzie et Gennaro.

En 2001, il triomphe avec "Mystic River", dont l'adaptation au cinéma par Clint Eastwood raflera deux Oscars. En 2010, c'est Martin Scorsese qui porte à l'écran son "Shutter Island". Par ailleurs scénariste à succès pour la télévision ("The Wire", "Boardwalk Empire"...), Dennis Lehane boucle avec "Ce monde disparu" une trilogie policière sur fond historique.

L'histoire :
Le détective Patrick Kenzie a rendez-vous au bar du Ritz-Carlton de Boston avec trois politiciens, dont les sénateurs Sterling Mulkern et Brian Paulson. Ces derniers l'engagent pour retrouver Jenna Angeline, 41 ans, femme de ménage noire au service des deux élus, disparue depuis neuf jours, et, avec elle, des documents importants concernant un projet de loi dont ils taisent l'objet. A son bureau, le clocher de l'église Saint-Barthélémy (un accord avec le pasteur), Patrick rejoint son associée et amie d'enfance, Angela Gennaro, et lui décrit leur nouvelle mission. La perspective d'évoluer dans le milieu de la politique ne les enchante guère...

Mon avis :
Une chose est sûre : sous la plume de Dennis Lehane, ça déménage à Boston ! En compagnie de ses deux enquêteurs, nous traversons toute la ville de part en part. Des quartiers blancs aux quartiers noirs, des quartiers riches aux quartiers pauvres, aucun d'eux n'est épargné. La violence, quelle que soit sa forme, règne partout. Les scènes de guerres urbaines sont spectaculaires, très cinématographiques. Les politiciens corrompus et le racisme sont les deux fils conducteurs de ce roman captivant. Pouvoir, argent, sexe, drogue, guerres de gangs... toutes les ficelles d'un bon polar sont présentes. Mais Lehane est brillant ! Il gratte bien au-delà. Ses interrogations sur la démocratie sont particulièrement intéressantes, et les réponses complexes et incertaines. De même que sa question "qui sont les véritables héros de notre monde ?" nous invite à une réflexion à la fois idéologique et philosophique.

Du très très bon niveau !

Clin d'oeil :
Ce n'est pas une "fake news" ! Donald Trump se cache quelque part dans une des pages du livre...

"Les égouts de Los Angeles" de Michael Connelly (Points)



Michael Connelly (droite)
et l'acteur Titus Welliver ("Bosch") à Los Angeles














Los Angeles (Etats-Unis)

"Le meilleur moyen pour moi, c'est de faire évoluer mes personnages dans un monde le plus réaliste possible : je veux que les rues soient vraies, les restaurants, les bars, mais aussi la bureaucratie, les mécanismes politiques, tout ce qui fait notre quotidien. Parce que cet univers sera réaliste, je pourrai donner une forme de réalité à mes personnages. Et Los Angeles est une ville qui permet cela : elle offre une vaste palette de mondes disparates - les plaines, les collines, l'océan, le désert... -, et cette géographie se retrouve dans sa diversité sociale. C'est un terreau impitoyable certes, mais surtout formidable pour un écrivain."
Michael Connelly


Michael Connelly est né en 1956 à Philadelphie (Etats-Unis). Lauréat du Prix Pulitzer comme chroniqueur judiciaire, il fait sensation avec "Les égouts de Los Angeles" (1992), où évolue son inspecteur Harry Bosch, souvent en conflit avec ses supérieurs dans sa recherche de la vérité. Les références à la peinture ou à la littérature - comme Edgar Allan Poe dans "Le Poète" (1996) - permettent à Connelly de transcender le roman noir. Il obtient divers prix aux Etats-Unis puis en France, dont le Grand Prix de littérature policière en 1999 pour "Créance de sang".

Le personnage de Hieronymus "Harry" Bosch est né en 1950. Homme taciturne, vétéran du Vietnam où il "nettoyait" les galeries souterraines creusées par les Vietcongs, Bosch a un fichu caractère, des amours compliquées, père d'une adolescente, Maddie, une passion pour le jazz, un penchant pour l'alcool et un prénom original : Hieronymus (Connelly s'est inspiré du peintre flamand Jheronimus Van Aken, dit Jérôme Bosch). Sa mère, prostituée, a été assassinée sur Hollywood Boulevard (hommage à James Ellroy). Son père, J. Michael Haller, est avocat, ainsi que son demi-frère, Mickey Haller, héros d'une autre série de Connelly ("La Défense Lincoln").

Connelly a créé d'autres séries, l'une autour de Terry McCaleb, agent du FBI, et l'autre autour du journaliste Jack McEvoy. Plusieurs de ces différents protagonistes sont parfois réunis dans une intrigue commune.

L'histoire :
Un dimanche matin, Harry Bosch est réveillé par le sergent de garde de la police de Los Angeles, district de Hollywood. Un cadavre a été découvert dans une canalisation près du barrage de Mulholland. Sur les lieux, à sa grande stupéfaction, Bosch reconnaît, grâce à son tatouage, un frère d'armes, un ancien du Vietnam, un "rat de tunnel" comme lui...

Mon avis :

Incontestablement, la Cité des Anges est le personnage principal des romans de Michael Connelly. C'est elle qui donne le ton et les sons. C'est elle qui décide de l'atmosphère, de l'ambiance. C'est elle qui fixe les humeurs, les odeurs, les couleurs. Perméables, les acteurs de l'histoire se fondent en elle et jouent leur partition à la perfection. Loin des paillettes et des lumières, Connelly nous montre la pauvreté et la noirceur de la ville, et pointe plus généralement les défaillances de la société américaine, sans pessimisme ni désespoir, mais avec réalisme. 

On suit avec avidité le cheminement de l'enquête menée tambour battant par un inspecteur Bosch déterminé, forte tête, mais diablement attachant. Ses façons de défier les règles et l'autorité ne le rendent que plus sympathique encore.

Un premier opus sans faille signé de celui qui est aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands ténors du polar américain !